La question n'est pas : peuvent-ils parler? mais peuvent-ils souffrir ?
"Il faudra donc, peu à peu, réduire les conditions de la violence et de la cruauté envers les animaux, et, pour cela, sur une longue échelle historique, aménager les conditions de l'élevage, de l'abattage, du traitement massif, et de ce que j'hésite (seulement pour ne pas abuser d'associations inévitables) à appeler un génocide, là où pourtant le mot ne serait pas si inapproprié.
Quand j'ai abordé cette question aux États-Unis, à la Faculté de droit d'une université juive, j'ai utilisé ce mot de génocide pour désigner l'opération qui consiste, dans certains cas, à rassembler des centaines de milliers de bêtes chaque jour, pour les envoyer à l'abattoir et les tuer en masse après les avoir engraissées aux hormones. Cela m'a valu une réplique indignée. Quelqu'un a dit qu'il n'acceptait pas que je parle de génocide : « Nous savons ce qu'est le génocide. » Donc, retirons le mot. Mais vous voyez bien de quoi je veux parler.
À plus ou moins longue échéance, il faudrait limiter cette violence autant que possible, ne serait-ce qu'à cause de l'image qu'elle renvoie à l'homme de lui-même. Ce n'est pas la seule ni la meilleure raison, mais elle devra compter.
Cette transformation prendra sans doute des siècles, mais, je le répète, je ne crois pas que l'on puisse continuer à traiter les animaux comme nous le faisons aujourd'hui. Tous les débats actuels signalent une inquiétude grandissante à ce sujet dans la société européenne industrielle."
Jacques Derrida-Les rapports entre hommes et animaux devront changer- De quoi demain...Dialogue avec E.Roudinesco.