Déraison scientifique
"Dans un jardin d'une des îles de Saint-Pétersbourg, le professeur Pavlov est en train de faire construire un nouveau laboratoire, comprenant des chambres d'isolement strict, où tout fonctionnera automatiquement..."
Vous songez, en lisant ces lignes, à des tuberculeux, qu'on isole, ou à des déments qu'on soigne ?...Il s'agit simplement de faire saliver des chiens. Un chien salive toutes les fois qu'on lui donne à manger ou qu'on lui montre un aliment qui lui plaît.
Le professeur Pavlov et ses'nombreux'-hélas- élèves s'appliquent à provoquer cette sécrétion au gré d'une méthode purement psychique.
Ces messieurs n'ont pas perdu leur temps; un des élèves, Orbéli, a habitué un chien à saliver toutes les fois qu'on lui faisait voir la lettre T sur un fond clair : c'est, dit-il, le résultat d'un travail de six mois.
[...] C'est bien terrible, un savant lâché, en liberté, à travers le monde. Nous savons qu'il est nécessaire, ce gaspillage de forces, de temps, de trouvailles mécaniques, d'électricité, de bâtiments spéciaux, autour d'une idée.
Mais celle-ci est génératrice d'images saugrenues ou pénibles, et ne fait pas fleurir en nous, nous commun des mortels, l'enthousiasme des découvertes rayonnantes...
[...] Ne songeons pas trop longuement aux 'dressages' du docteur Pavlov et de ses nombreux élèves : nous finirons par trouver, par comparaison, que les vivisecteurs ne sont pas de si méchantes gens...
La salivation psychique, dans "La paix chez les bêtes", de Colette.
Cet extrait est dédié à toutes les bestioles qui ont passé leur vie dans un dispositif de conditionnement, boîte de Skinner ou autres, à la merci d'un expérimentateur.