Ce doux pouvoir du sang
Or, ces hommes, enfants ! pour apaiser leur faim
N’ont pas assez des fruits que Dieu mit sous leur main
Leur foule insatiable en un soleil dévore
Plus qu’en mille soleils les champs n’en font éclore
En vain comme des flots l’horizon écumant
Roule perte de vue en ondes de froment
Par un crime envers Dieu dont frémit la nature
Ils demandent au sang une autre nourriture
Dans leur cité fangeuse il coule par ruisseaux
Les cadavres y sont étalés en monceaux.
Ils trainent par les pieds, des fleurs de la prairie
L’innocente brebis que leur main a nourrie
Et, sous l’oeil de l’agneau l’égorgeant sans remord
Ils savourent ses chairs et vivent de la mort
Aussi le sang tout chaud dont ruisselle leur bouche
Leur rend le goût brutal et le regard farouche
De cruels aliments incessamment repus
Toute pitié s’efface en leurs cœurs corrompus
Et leur oeil, qu’au forfait le forfait habitue
Aime le sang qui coule et l’innocent qu’on tue
Ils aiguisent le fer en pique, en glaive, en dard
Du métier de tuer ils ont fait le grand art
Le meurtre par milliers s’appelle une victoire
C’est en lettres de sang que l’on écrit la gloire.
Alphonse de Lamartine-La Chute d'un Ange-7ème vision (Le prophète).1838